Insécurité alimentaire en RDC : « ce fléau passe par la solidarité et l’agroécologie » (Germain Nyembo Kasendue)

Insécurité alimentaire en RDC : « ce fléau passe par la solidarité et l’agroécologie » (Germain Nyembo Kasendue)

Dans un pays où la terre, nourricière par essence, est à la fois un trésor et un fardeau, l’agriculture porte en elle l’espoir d’un renouveau. La République démocratique du Congo, riche de ses sous-sols et de sa biodiversité, se voit pourtant frappée par un fléau silencieux : l’insécurité alimentaire. Germain Nyembo Kasendue, agronome engagé et coordinateur du programme d’Action de Carême en RDC, propose une voie vers la résilience par la solidarité et l’agroécologie.

En République démocratique du Congo, l’insécurité alimentaire fait des ravages. Pour Germain Nyembo Kasendue, la lutte contre ce fléau passe par la solidarité et l’agroécologie. Les sous-sols de la RDC abritent des richesses colossales. Pourtant, la faim frappe près d’un quart de la population de ce pays d’Afrique centrale.

Agronome spécialisé dans le développement de systèmes alimentaires durables, Germain Nyembo Kasendue consacre toutes ses forces à lutter contre ce fléau et ses principales causes : la pauvreté, la course aux matières premières, les conflits armés et le réchauffement climatique. Du 20 mars au 6 avril, il a séjourné en Suisse pour participer au lancement de la campagne œcuménique « La faim bouffe l’avenir », initiée par les organisations de coopération Action de Carême, Entraide protestante suisse et Etre Partenaires. Il a répondu à nos questions cruciales.

Quelle est l’étendue de l’insécurité alimentaire en RDC ?

Germain Nyembo Kasendue (GNK) : Sur une population comptant un peu plus de 105 millions d’habitant·es, sept personnes sur dix se trouvent en situation d’insécurité alimentaire. Et près d’un quart souffrent de sa forme la plus aiguë, la faim – pour les enfants de 0 à 5 ans, cette proportion s’élève à 45%.

Comment expliquer ces chiffres si élevés ?

GNK: Cette situation catastrophique a plusieurs causes. Il y a d’abord la misère et les inégalités. Selon le FMI, la RDC est le quatrième pays le plus pauvre au monde : 75% de sa population vit avec moins de 2 dollars par jour. Les femmes sont particulièrement touchées par l’indigence et la faim, car elles sont souvent privées d’accès à la propriété de la terre, alors qu’elles travaillent bien plus dans les champs que les hommes.

Il y a ensuite les conflits armés qui ravagent des zones entières du pays, notamment celle du Kivu, à l’est. Des guerres souvent motivées par la volonté d’accaparer les minerais dont regorgent nos sous-sols. Le changement climatique est une autre cause majeure de la faim : des sécheresses et des précipitations de plus en plus longues impactent le secteur agricole, dont dépend la survie d’une majorité de la population.

Quelle est l’importance de l’agriculture en RDC ?


GNK: Plus de 60% des Congolais·es vivent en milieu rural. Ils y pratiquent une agriculture familiale, tournée vers l’autosubsistance. Manioc, riz, maïs et niébé sont les principales plantations. Stratégique pour la population, le secteur agricole pourrait jouer un rôle moteur dans le développement du pays. Or, il est malheureusement délaissé par l’Etat congolais, qui y investit moins de 5% du budget national. Conséquence : alors qu’elle compte 80 millions d’hectares de terres cultivables, la RDC importe massivement des aliments pour nourrir les habitant·es de ses villes.

Comment expliquer ce désintérêt ?

GNK: Le gouvernement consacre toute son attention au secteur minier, qui représente 90% des exportations du pays – et donc l’essentiel des recettes de l’Etat. Cette politique crée un sous-financement du secteur agricole et contribue aussi à chasser des communautés entières de leurs terres. L’exécutif accorde toujours plus de terrains agricoles à des entreprises désireuses d’y exploiter des minerais. Certaines de ces sociétés ont leur siège en Suisse, comme Glencore, qui a des filiales actives en RDC.

Nous craignons que cette problématique ne s’étende encore plus, impactant les zones dans lesquelles nous avons des projets. Dernièrement, le gouvernement congolais a fait part de sa volonté de vendre des terres communautaires, après y avoir découvert des gisements de pétrole.

L’exploitation minière a-t-elle tout de même des retombées positives ? 

GNK: Le code minier prévoit que chaque entreprise doit signer un cahier des charges avec la communauté vivant autour de la zone exploitée, et verser 5% de ses recettes pour financer des projets profitant à la population. Mais en raison de la corruption et de l’opacité de ces sociétés sur leurs revenus, la population locale ne retire en réalité aucun profit de ces mines. La RDC a certes besoin que des entreprises valorisent ses ressources, mais cela doit se faire dans le respect des lois et avec un impact positif sur les communautés.

Comment vos projets luttent-ils contre la faim dans le pays ?

GNK: Nous accompagnons douze projets portés par nos partenaires locaux, répartis dans quatre à cinq régions du pays. L’objectif est d’améliorer l’alimentation des populations concernées, en quantité comme en qualité, tout en garantissant la dignité de chacun·e, à l’aide de deux leviers clés : la solidarité et l’agroécologie.

Comment cela se traduit-il sur le terrain ?

GNK: Nous organisons les communautés en groupes solidaires. Les paysan·nes sont sensibilisé·es à travailler ensemble, à s’entraider et à exploiter des champs de manière collective. Cela permet d’augmenter la capacité productive, tout en constituant un stock d’aliments et de semences qui bénéficiera à tous les membres du groupe. En mutualisant une partie des revenus issus de la vente des surplus agricoles, ces projets alimentent une caisse d’épargne solidaire.

Nous luttons également pour le maintien des savoirs endogènes, en organisant des séances de transmission des connaissances entre les générations.

Pourquoi le choix de l’agroécologie ?

GNK: Notre population appauvrie n’a pas les moyens de cultiver de vastes étendues de terres avec des produits chimiques nocifs pour la santé. L’agroécologie permet de produire suffisamment pour nourrir sa famille sur un petit lopin de terre, tout en préservant les sols. Cette exploitation durable aide à éviter l’exode rural.

Nous avons réussi à conserver et multiplier des semences locales menacées de disparition en raison de l’importation de graines, pour partie génétiquement modifiées. Nous favorisons la diversification des productions, notamment par le développement de l’élevage et de la pisciculture.

Ces méthodes débouchent-elles sur des résultats ?


GNK: Nos projets touchent environ 14 000 familles. Plus de la moitié d’entre elles sont aujourd’hui en mesure de se nourrir de manière diversifiée et de scolariser leurs enfants. La création de groupes solidaires permet de surmonter les tensions autour de la possession de la terre. Nous notons également des progrès en matière d’égalité : là où nous intervenons, les hommes accompagnent désormais leurs femmes aux champs et les associent aux décisions sur l’utilisation des revenus du foyer.

Quel est l’impact des conflits sur la question agricole ?

GNK: La RDC est ravagée par des guerres depuis trois décennies. Au Kivu, les conflits armés ont causé plus de 6 millions de morts, souvent dans l’indifférence de la communauté internationale. Les ressources de l’Etat, accaparées par l’effort de guerre et la crise humanitaire, font cruellement défaut pour développer l’agriculture.

Aujourd’hui, certains groupes armés annoncent leur volonté de pousser leur offensive jusqu’à Kinshasa. Si cela se produit, tous nos efforts pour l’autosuffisance alimentaire pourraient être réduits à néant.

La réduction de l’aide au développement par plusieurs gouvernements, dont la Suisse, nous préoccupe. Cela risque d’avoir de graves conséquences pour la population de la RDC, notamment pour les jeunes, et pourrait les pousser à émigrer vers l’Europe. Cette tendance est vécue comme une injustice et révèle une incohérence des gouvernements occidentaux.

Il est essentiel de reconnaître la responsabilité de la Suisse dans l’exploitation des ressources congolaises, non pas pour justifier la réduction de l’aide, mais pour rendre cette coopération plus juste et efficace. Nous gardons l’espoir d’un sursaut de la solidarité internationale.

Jules Ntambwe (correspondance particulière)

Partage :

Laisser un commentaire